Les oreilles qui sifflent
La surdité n'empêche pas d'être perturbé par des bruits comme les acouphènes qui se manifestent par des sifflements, bourdonnements, tintements de façon permanente, intermittente, variable ou temporaire. Cela altère considérablement la qualité de vie lorsque ces sensations auditives sont constantes. Ca peut même constituer un handicap incompatible avec l'exercice d'une profession.
Récemment, je me suis retrouvée dans un environnement bruyant dans lequel je me sens très vite mal à l'aise car il m'est impossible de suivre les conversations. Je ne parviens pas à distinguer les sons dans le brouhaha. Encore moins à pratiquer la lecture labiale. Par conséquent, il est facile de se retrouver isolé et vite fatigué. L'attention faiblit malgré tous les efforts pour rester "à l'écoute". Les personnes présentes, quand elles ne sont pas au courant, ne comprennent pas toujours les différentes phases de repli ("elle est asociale ou quoi " ?) qui se succèdent et précèdent le départ inéluctable avant la fin d'une soirée.
Les mal-entendants parlent fort parce qu'ils ne mesurent pas l'intensité de leur propre voix et que des acouphènes font interférence. Pouvoir tenir une conversation, sans fatiguer les autres - c'est retors, ils se mettent à parler fort aussi - et s'épuiser soi-même en forçant sur les cordes vocales, est impossible à long terme.
Ce qui est le plus gênant, c'est qu'on ose rarement faire répéter. Il m'est arrivé souvent de croire que j'avais bien capté les propos. Le regard dubitatif de mon interlocuteur me fait prendre conscience que j'ai répondu complètement à côté. S'ensuivent des quiproquos qui portent à rire.
Des personnes se vexent et pensent que je ne prête pas pleinement attention à ce qu'elles disent. J'écoute pourtant le plus attentivement que je le peux mais le message sonore est brouillé, pas toujours bien décodé.
D'autres s'offusquent que je ne supporte pas les enfants qui chahutent un peu. Leurs cris stridents m'agressent les tympans. Tout comme le bruit d'une sirène d'ambulance dont l'empreinte sonore reste des heures entières dans ma tête. Imaginez-vous avec un camion de pompiers qui tourne en boucle entre vos deux oreilles comme s'il était coincé derrière un camion de livraison dans une ruelle commerçante à sens unique !
Les voix féminines criardes me font l'effet d'un crissement de craie sur un tableau noir. Ca me hérisse le poil et me fait fuir les hystériques, les "excitées du clairon", les "adjudants-chefs en jupons".
Je ne vais qu'exceptionnellement au concert, au cinéma, dans des manifestations bruyantes. Le lendemain, je suis épuisée. Ma surdité est accentuée, les acouphènes également. J'ai la tête dans un bocal.
Je recherche de plus en plus les endroits et la compagnie de personnes très calmes, qui ne s'expriment pas avec grandes effusions. Il s'opère alors une forme de mimétisme qui est apaisant pour tout le monde. Je cale la tonalité de ma voix sur la leur. Les échéanges sont beaucoup plus agréables, dépollués de parasite extérieur. J'ai moins l'appréhension de comprendre de travers.
Les problèmes d'audition isolent socialement. L'appareillage permet de pallier celui de la surdité. Une jeune femme, mal entendante depuis des années après des otites à répétition mal soignées, me confiait récemment que le port de prothèse auditive la perturbait davantage que le fait de ne pas entendre. Pas à cause d'un quelconque souci d'esthétisme ! Les prothèses sont discrètes maintenant. Ce qui la dérange c'est de percevoir des sons qu'elle n'entendait plus ou d'une manière différente de la réalité. J'ai connu ce désarroi quand je me suis retrouvée à côté d'une fontaine. L'écoulement de l'eau avait, avec l'appareil, une sonorité métallique. J'ai "switché off" dans le tramway parce tout était amplifié. Je percevais le "s" dans les dialogues comme le sifflement d'un serpent à sonnette.