Les derniers survivants
L'automne est là, il s'installe. Jusqu'à aujourd'hui nous n'en avions pas pleinement conscience. Ce n'était qu'une saison inscrite sur le calendrier. Nous en étions encore à l'été. Même pas indien.
Dans mon petit coin privilégié et baigné de lumière solaire, j'ai contemplé les derniers survivants de l'été. Taches colorées et vivaces dans le décor encore verdoyant. Sous l'azur d'un ciel sans coton blanc.
Hier, le vent s'est soudain levé. Comme un murmure au début. Une douce introduction à la symphonie éolienne qui va suivre. La cime des arbres et le branchage des pins parasols se balançant au rythme de son souffle tel un métronome.
La pluie ne tardera pas à faire des claquettes sur les tuiles et vitres des maisons.
Pour les oiseaux, la chasse aux insectes se termine. Leur vol s'est suspendu. Ils se sont regroupés sur les câbles électriques. Telles des notes noires et croches alignées sur une partition musicale.
Les nuages défilent tels des mannequins de la mode automne-hiver sur le podium céleste de la "season week". Un camaëu de gris. Souris, et non sourire. Au final, la parure blanc laiteux du ciel, symbole d'une union saisonnière sur tapis de feuilles mordorées. Premiers frimas annonçant les frissons et augurant des moments de bien-être chaleureux sous la couette. Quand tout est glacé dehors.
Les araignées investissent les maisons et délaissent leurs ouvrages de soie tissés dans le lierre et la vigne. Le lézard fait la gueule comme s'il était en pleine déprime saisonnière. Il doit renoncer à ses bains de soleil quoitidiens.
Les dernières libellules se cramponnent, grapillent quelques jours, heures, minutes supplémentaires.
L'escargot rentre dans sa coquille. J'observe ce petit monde animal et constate que j'adopte le même comportement.
Une mélancolie passagère m'envahit aujourd'hui et rend ma plume prolixe.
Je me sens un peu comme une dernière survivante, un papillon à la vie éphémère et aux ailes déchiquetées, cloué au sol.
Une fleur qui se fane, une feuille privée de sève, une branche qui craque.
Sans doute l'approche de la cinquantaine que je ne redoute pas mais que mon organisme affaibli me fait ressentir comme une mise en garde. Car, paradoxalement, je ne parais pas cet âge que j'oublie trop souvent. Le corps, mécanique fatiguée et capriciceuse, refuse de suivre les injonctions de ma tête en ébullition où il y a comme un trop plein de vie qui ne demande qu'à s'exprimer. La nature est là pour me rappeler à l'ordre quand je ne respecte plus les consignes de prudence, que je m'active comme une jeunette. Avec exubérance, boulimie. Parce que j'aime la vie qui tourbillonne, qui danse, qui rit. J'étais une enfant sage. Trop sage. Au caractère espiègle brimé par une éducation trop stricte. Chercherais-je à rattraper, adulte, ce temps perdu à ne pas m'amuser avec insouciance ? Une question dont je connais parfaitement la réponse. Tic tac tic tac tic tac....