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La vie, des objectifs
5 février 2014

Les jolis souvenirs - 2

On ne prêtait pas à ma grand-mère maternelle un caractère aimant et pourtant c'est auprès d'elle que j'ai souvent trouvé le réconfort. Etait-ce parce qu'elle avait dès ma naissance assumé le rôle que ma mère ne voulait pas tenir ? Était-ce parce que mon grand-père était mon parrain qu'elle se montrait davantage généreuse à mon égard qu'envers mes cousins ? Etait-ce parce j'étais une des rares personnes à lui demander de me raconter sa vie d'enfant avant et après son passage à l'Assistance Publique, les années passées en sanatorium pour soigner une tuberculose ? 

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J'avais pris pour habitude de ne pas traîner dans ses jupons. Elle me laissait toute la liberté de gambader dehors, de soliloquer, de jouer avec des amis imaginaires, de parler aux animaux. Je n'ai pas le souvenir qu'elle m'ait punie souvent. Même quand je déchirais mes habits en escaladant le muret qui séparait la cour de ferme à celle du château. J'avais la flemme de faire le tour et de passer par le portail. Quand je revenais avec des écorchures de fils barbelés ou des vêtements maculés de bouse de vache, elle disait que j'apprenais la vie. Pour ma grand-mère, il n'y avait rien de grave. A part la mort....et ses économies ! C'était devenu une sale manie de thésauriser, dont beaucoup se moquaient dans les alentours, depuis qu'elle avait accidentellement fait brûler pendant la guerre les économies qu'elle avait cachées. Dans le tiroir à braises d'un poêle à bois qu'elle alluma un jour sans se rappeler que.... ! Mon grand-père qui avait travaillé durement pour réunir cet argent, lui en avait voulu durablement. Ils n'en avaient plus jamais reparlé entre eux mais on sentait l'amertume derrière des reproches tus.

Dès l'aube, mon grand-père s'occupait des animaux puis il s'isolait dans le grand potager, les champs. Avec les deux chiennes Java et Dina sur ses talons. Il ne revenait qu'à l'heure de la soupe, juste après la traite manuelle des vaches. Je l'accompagnais très souvent sans le gêner dans ses travaux. C'est ce qu'il appréciait, comme le fait que je ne hurlais jamais à ses oreilles sourdes. On se comprenait avec des mimiques. Une sorte de langage pour sourd et muette, rien qu'à nous.

Je l'entendais parfois se lever en pleine nuit et partir assister une vache qui vêlait. Quand la bétaillère venait chercher les veaux pour la boucherie, mon grand-père pleurait dans son coin pendant un ou deux jours. Il lui arrivait même d'en faire de véritables crises de foie. Quand une chatte avait une portée, mon grand-père ne pouvait se résoudre à tuer les petits dès la naissance comme le lui demandait ma grand-mère. Si bien que nous étions envahis par les chats. Je crois que c'est la raison pour laquelle je ne les supporte plus aujourd'hui dans mon espace vital.

A la fin de sa vie, ma "mémé" m'appelait quelquefois par le prénom de ma mère. Ce n'est pas qu'elle perdait la tête car elle se reprenait aussitôt. Je crois qu'elle avait surtout des moments de nostalgie, de profonde mélancolie où sa fille décédée trop jeune lui manquait. Elle avait fini par trouver une astuce pour ne plus commettre de lapsus, elle m'appelait "ma chérie". Ce sont ces mots qu'elle m'a adressés dans le dernier battement de son coeur nécrosé et en lambeaux.

Mes grands-parents n'étaient pas des gens parfaits. Ils avaient connu l'abandon l'un et l'autre, la maladie, la guerre. Ils avaient leurs aigreurs, des ennuis qu'ils n'ont jamais exposés ouvertement. Je me rappelle qu'on disait de ma grand-mère qu'elle ne se tracassait de rien, que rien ne semblait l'atteindre. Je n'en ai pas la même version, le même souvenir. Derrière une forme de désinvolture se cache parfois une vie chaotique d'où rien ne transpire. Uniquement de p jolis sourires. 

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Commentaires
A
Pas dans les jupons de ta grand-mère, accompagnant ton grand-père sans le gêner : tu avais la qualité d'être présente sans être envahissante.
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M
Les photos de mariage.de nos ancêtres !.. Il en émane une émotion particulière faite d'impression de déjà vu; elles se ressemblent un peu toutes avec ces personnages endimanchés et sérieux, presque guindés; de nostalgie et de douceur à l'évocation de ceux qui nous ont quittés et qui ne s'inscrivent plus que dans notre souvenir parfois idéalisé. Mais il nous est nécessaire pour affronter les moments un peu difficiles de la vie.
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M
Je l'ai déjà écrit chez d'autres et notamment chez Mahie je crois... parce que j'en suis certainement dépourvue, vos souvenirs d'enfance m'interpellent et m'émeuvent beaucoup. Ce sont des beaux portraits que tu dresses ainsi. <br /> <br /> Oui,au vu de ce qeu tu dis d'elle, je doute moi aussi profondément du fait que ta grand mère ne se tracassait de rien mais elle avait en revanche peut-être appris à relativiser les choses tant elle avait dû faire face à bien des souffrances.<br /> <br /> <br /> <br /> Je n'avais pas du tout prêté attention aux oreilles de ton grand-père tant ses autres traits sont très attrayants. En dehors de ses oreilles, quel beau visage parfaitement équilibré et aux traits profondément réguliers et en harmonie les uns avec les autres ! C'est curieux comme son sourire me semble plus "réel" (ou peut`-être prononcé) que celui de ta grand-mère qui a elle aussi par ailleurs de fort jolis traits.
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E
Oui c'était rare un divorce en 1932-33. Mon grand-père buvait et battait ma grand-mère. Il s'est remarié avec la belle-soeur de son frère et à partir de ce temps là il a arrêté de boire. Il s'entendait bien avec sa nouvelle femme Olga ; ils sont restés ensemble jusqu'à la mort de mon grand-père en 1976. Je trouve que ta grand-mère te ressemble un peu sur cette photo. Bon week end. Et bisous.
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P
Un beau récit, bien raconté et très émouvant. Quelle chance d'avoir des souvenirs aussi intacts... mais peut-être devrais-je "fouiller" un peu plus... en ai-je envie ?...<br /> <br /> Par contre, quand je vois le voile de mariée de ta grand mère et son diadème sur le front, j'ai un coup au coeur : c'est exactement ce qu'avait ma grand mère maternelle sur la tête le jour de son mariage... la photo est ancrée dans ma mémoire, une belle photo que j'aurais voulu récupérer... mais qui tu sais s'en est chargée sans me demander si j'en voulais un exemplaire...<br /> <br /> Grosses bises de ciel bleu
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