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La vie, des objectifs
4 février 2014

Les jolis souvenirs - 1

Au cours d'une séance de relaxation qui aide à mieux gérer le stress, on m'a demandé de visualiser un endroit agréable où je me sens bien. Je n'ai pas cherché longtemps dans mes souvenirs pour trouver le lieu idéal et m'y projeter immédiatement.

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J'y ai vécu mes premières années et une grande partie de mon enfance avec mes grands-parents maternels. C'est dans un cadre champêtre magique que j'ai fait mes premiers pas, prononcé les premiers mots, découvert la nature. Un espace de liberté totale, loin des voitures, de la pollution urbaine de la petite ville distante de vingt kilomètres où habitaient mes parents.

On y accédait par un petit chemin perdu au milieu des sapins, châtaigniers et chênes centenaires. Au détour d'un dernier grand virage, on arrivait dans la cour de l'imposante bâtisse et de la ferme attenante.

Ce sont surtout des souvenirs olfactifs qui sont les plus marquants et réconfortants. Comme l'odeur du lait dans la laine d'un agneau qu'on nourrit au biberon. Celle du foin fraîchement coupé que l'on bottelait à la saison des moissons. Ou encore la fragrance des fleurs des orangers que mon grand-père cultivait avec des camélias. L'hiver, les gros containers étaient rentrés sous une verrière pour protéger les arbres du froid. Dans la grande serre, ça sentait la terre, le compost. L'amour de mon grand-père pour tous les végétaux qu'il réussissait à faire pousser. Y compris les plus exotiques. Son univers, c'était aussi le jardin potager où ce qui y croissait était vendu sur le marché avec les pots de crème et le beurre baratté par ma grand-mère dans la crémerie juste à côté de l'étable.

La ferme était peuplée de chats, chiens, vaches, cochons, moutons, lapins, poules, canards. L'âne Gigolette aidait au labour, c'est lui qui tractait l'araire. Il n'y avait pas de motoculteur. Et c'est à la faux que mon grand-père coupait les grandes herbes des fossés. J'entends encore le bruit singulier de la pierre à aiguiser sur le fil de la longue lame courbée. Je revois mon aïeul cracher dans ses mains et empoigner le manche de la faux. Je sens l'odeur âcre de transpiration qui émanait de la chemise à gros carreaux à chaque mouvement ample et semi-circulaire.

Un petit ruisseau alimentait deux grands lavoirs dont l'accès m'était interdit - tout comme celui du puits - en raison du danger de la noyade. Au moyen d'une bouteille en verre immergée et au fond de laquelle je mettais du pain rassis, je capturais des alevins et des têtards que j'observais ensuite se développer dans un bocal.

J'accompagnais souvent mon grand-père, sourd de naissance et appareillé, au marché du village. Je me rappelle l'odeur d'huile de moteur dans la vieille 2CV gris bleu, le gémissement des suspensions sur le chemin caillouteux. Je revois le petit porte-monnaie de cuir noir dans lequel "Pépé" glissait les billets pliés en carrés. Au retour du marché, assis sur le banc de l'immense table de cuisine, il écrivait des chiffres sur son livre de comptes.

Une fois par semaine, un marchand ambulant venait avec son Citroën TUB. Il ouvrait un des pans du camion et ma grand-mère lui passait commande de divers produits en consultant sa liste de courses. Elle ne manquait jamais de m'acheter des roudoudous.

Les jours de pluie, c'était l'occasion de partir à la découverte dans le dédale de couloirs et de pièces sombres du château. Beaucoup de meubles étaient recouverts de draps blancs pour les protéger de la poussière. Ça sentait le renfermé. Dès les premiers rayons de soleil printanier, les volets et fenêtres étaient ouverts largement mais une odeur d'humidité subsistait, retenue prisonnière dans l'épaisseur des murs. J'empruntais le grand escalier ou celui de service et montais dans les étages, dans les chambres situées au-dessus des salons de réception. Seule ou accompagnée de ma cousine, je m'inventais là un monde féerique. Les vieilles robes de dentelle dénichées dans les malles de coche plongeaient la petite fille que j'étais dans un rêve de princesse attendant son prince charmant. C'était amusant de coiffer des voilettes. Encore plus divertissant, car interdit, de tenter d'aplatir des chapeaux claque au plafond en faisant du trampoline sur les lits.

Avant moi, ma mère avait fait les pires bêtises ici durant sa jeunesse. Sans jamais égaler cependant celles de son frère casse-cou. Mon oncle avait failli provoquer une crise cardiaque à ses parents en montant sur le toit du château. Tout s'était heureusement bien terminé.

L'été était la meilleure période pour vivre là-bas. La grande famille versaillaise s'installait pour les vacances. Pendant que les adultes se prélassaient sur des transats, un livre ou une broderie en mains, les enfants jouissaient pleinement des lieux à grands coups d'éclats de rire. Ça bousculait le quotidien tranquille de ma grand-mère mais ça ne l'affolait pas pour autant. Elle trouvait encore le temps de faire ses grilles de mots croisés, claquemurée dans la cuisine. Son antre où personne ne venait l'importuner.

C'est décidément là mon lieu d'apaisement, parce que j'y ai goûté la liberté, le plaisir de la découverte, les joies de l'amusement, la douce rêverie. Le bonheur sous toutes ses formes malgré un manque affectif évident.

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Commentaires
M
Est-ce dû au fait que je n'ai quasiment aucun souvenir d'enfance (et les rares que j'ai ne sont pas du tout joyeux) ? Les rares fois où l'on m'a demandé de visualiser ce type d'endroit, j'ai pensé à mon appartement du moment !!! Un lieu totalement interchangeable et donc finalement pas vraiment marquant.
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A
Qu'est devenu le château ? Y es-tu retournée depuis ?
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N
Un bel havre de paix, si joliment décris que j'ai goûté avec toi un roudoudou, caressé l'âne Gigolette, été moi aussi secouée dans le 2CV et couru dans les couloirs en me racontant des histoires...
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E
J'ai rêvé plusieurs fois de vivre un été dans un château avec ma famille. Mais cela ne s'est pas réalisé. Nous avons campé une année, et les autres nous louions un appartement en Bretagne. <br /> <br /> Je comprends à ce récit que ce devait être un beau souvenir, malgré ton manque d'affection. Il y a plein de châteaux dans ce coin. C'est près de Mâcon, il me semble.Bisous, (c'est le temps des souvenirs...)
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