Le coeur liseron
Longtemps j'ai souffert et fait souffrir d'avoir le coeur liseron. De vouloir m'attacher aux personnes que je rencontrais et pour lesquelles j'éprouvais des sentiments. Qu'ils soient amoureux ou amicaux.
C'était presque devenu une nécessité de me fixer. Comme celle de devoir s'arrimer à des rochers forts et solides, à un port de plaisance abrité et paisible. Pour ne pas dériver, chavirer et couler. Pour ne plus être comme un bateau fantôme et ivre, perdu sur l'immensité d'une mer sans aucun îlet. Pour mettre un terme à une rude et éprouvante traversée en solitaire. Chahutée par des vents violents et des flots en colère.
C'était sans doute un besoin pour compenser le manque de racines, pour retrouver des repères. Un besoin de sceller des relations durables pour oublier les séparations précoces et définitives. Pour combler le vide affectif que connait tout orphelin. Pour ne plus se sentir frustré par la privation d'amitiés fauchées cruellement par la maladie, les accidents de la vie.
C'était sans compter les incidences d'un tel comportement. Un coeur liseron est bien trop exigeant et finit par trop puiser d'énergie. Sans bien s'en rendre compte car lui-même donne sans compter, sans rechigner. Petit à petit, on va le trouver trop gourmand d'attention, étouffant, vampirique. Le coeur liseron n'est plus qu'un parasite, une mauvaise herbe dont il faut se débarrasser. Avec plus ou moins de douceur. Le plus souvent, brutalement, sans aucune explication. Il faut s'en défaire aussi vite qu'il s'est accroché.
C'était avant de faire le bilan de liaisons malencontreuses et fautives. Comme un fil de trop dans les z'haricots. Qui ne passe pas autrement que de travers et que l'on recrache.
C'était avant de prendre conscience que c'est un tort de penser faire partie intégrante de la vie d'autrui. Somme toute, un greffon est menacé à tout moment de rejet. Il est parfois difficile d'intégrer une famille, un groupe, un clan. Surtout quand on finit par s'apercevoir que tout oppose l'une et l'autre partie. Qu'il n'y a pas tant d'affinités qu'il n'y paraissait. A trop vouloir être aimé et accepté, on renie parfois sa propre personnalité qui ressurgit tôt ou tard. Au jeu de la séduction et des concessions, le coeur liseron s'étouffe lui-même, le premier. Cette boulimie affective est nocive de part et d'autre.
C'était avant de décider de m'aimer, de digérer mes erreurs, d'analyser mes failles, de faire le deuil de relations impossibles, de ne plus faire de gâchis de ma vie. Avant de prendre la résolution d'être libre de ce que je pense, de ce que je dis, de ce que je fais. Être en accord avec soi-même a davantage d'importance que d'épouser aveuglément les opinions de quelqu'un juste pour ne pas lui déplaire.
Dorénavant, je me fiche pas mal de savoir si on m'aime ou pas. Mon coeur n'est plus liseron. Il a tout juste à peine gardé les cicatrices que lui ont infligé ses propres épines blessantes. Il ne s'emballe plus pour des chimères. Il bat sans autres raisons que la raison elle-même.