Sortir de... taire
En voyant l'écriture sur l'enveloppe, je suis restée comme statufiée. Elle ressemblait en tout point à celle de mon frère gaucher dont je n'ai, à nouveau, plus de nouvelles. Cela m'a provoqué une curieuse réaction. J'étais partagée entre l'envie de prendre rapidement connaissance du contenu de l'enveloppe et celle de jeter cette dernière à terre comme si elle me brûlait les doigts. Le courrier m'avait été annoncé quelques jours auparavant par une lettre du service pénitentiaire d'insertion et de probation. Dire que je l'attendais.... Oui et non. Oui, parce que c'était la suite logique du procès et de la condamnation qui avait été prononcée. Non, parce que je le pensais insolvable et je mettais en doute l'engagement qu'il avait pris pour me dédommager financièrement. J'espèrais néanmoins qu'il le fasse pour appuyer sa demande de pardon qu'il m'avait adressée au tribunal, pour montrer qu'il avait réellement pris conscience des actes délictuels commis. Comme la marque significative de sa repentance.
- Vous savez, il n'est vraiment pas méchant, m'assuraient deux mois plus tôt ses parents avec les larmes aux yeux, alors que j'attendais à l'extérieur de la salle d'audience le verdict de la justice.
Les délibérations avaient traîné en longueur. Je m'étais ainsi retrouvée à discuter durant des heures avec ses parents effondrés. Ils m'avaient parlé de lui avec toute la force de leur amour. Face aux faits, ils exprimaient leur incompréhension. Je leur opposais ma colère froide. Ils parlaient avec le coeur aimant d'un père et d'une mère. J'argumentais et défendais mon statut de victime. Puis, petit à petit, j'en étais venue à les réconforter, à les aider à analyser la situation, à les préparer à l'énoncé de la sentence, une peine de prison ferme requise par le procureur, assurée d'être prononcée. C'était plus fort que moi. Encore une fois, j'avais éprouvé ce besoin. Celui d'épauler les autres, avant de m'occuper de moi-même. Malgré tous les reproches qu'on m'en faisait. Et que l'on continuera à m'adresser car je ne changerai pas.
Une femme m'avait accostée, tenant à me féliciter de mon comportement, de la manière dont je m'étais exprimée à la barre. C'est avec émotion et une fierté légitime que je l'avais entendue me déclarer : Vous êtes pleine de richesses, vous dégagez une telle force. Ca a été un immense plaisir de vous avoir croisée et écoutée. Vous avez parlé sans haine malgré le préjudice subi, avec beaucoup de psychologie et d'humanité.
C'était un compliment que je savourais, moi qui avais mis si longtemps à pouvoir et oser m'exprimer, à faire valoir mes droits, à me défendre.
J'ai trop souvent tu les souffrances de l'enfance, choisi de ne rien dire pour ne pas faire de tort. J'ai souvent courbé le dos, rentré la tête dans les épaules, ravalé les mots et ruminé les maux de la colère. Il n'est pas facile de sortir du mutisme dans lequel on s'emprisonne. De lever cette autopunition que l'on s'inflige. Jusqu'à ce que la coupe soit pleine, que le seuil de tolérance soit atteint. C'est alors que toutes ces paroles que l'on a refoulées sortent comme des boulets de canon. Elles sont dévastatrices. On fait ensuite les frais de cette violence verbale tout autant que ceux à qui elle était adressée. On nous fait quelquefois regretter voire culpabiliser de "l'avoir ouvert", d'avoir brisé l'omerta... familiale en ce qui me concerne.
C'est pourquoi j'ai souvent préféré plus tard combattre les injustices dont les autres étaient victimes. Conformément à mes ambitions d'adolescence. Ma meilleure amie et moi, nous avions envisagé de servir la justice, de défendre le droit, de faire appliquer les lois. L'amie est aujourd'hui procureure de la République. Son nom est cité dans les journaux, les affaires médiatiques. Je suis fière et heureuse de voir celle qu'elle est devenue. Quant à moi, je me fais souvent l'avocate des uns et des autres mais jamais du diable. J'ai appris aussi, au fil du temps, à me soucier un peu plus de mes propres intérêts, à défendre les valeurs et les causes auxquelles je tiens. Tel un lombric sorti de taire qui ne rampe plus devant l'adversaire. J'ai acquis suffisamment de confiance pour ne plus jamais me laisser terroriser et murer dans le silence.