Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La vie, des objectifs
20 janvier 2010

On oublie jamais vraiment

couteau30

L'anecdote a fait rire mon entourage. Je me suis faite charrier. "Demain, tu dors avec la fourchette ?"

Elle a laissé mon médecin très inquiet.

- Il n'y avait pas de sang sur la lame ??

- Non, je l'ai trouvée intacte et posée à côté de moi dans le lit.

- ....

- Le problème, c'est que je ne me rappelle rien entre le moment où je me suis couchée et celui où je me suis réveillée en découvrant ...ce ...ce couteau dans les draps. Aucun souvenir de m'être relevée en pleine nuit, d'avoir débranché mon appareillage de ventilation et de m'être rééquipée ensuite. Le trou noir complet.

- Votre mari est en poste à l'étranger. Vous avez peur d'être seule la nuit ?

- J'ai peur, oui. Mais essentiellement de refaire un coma diabétique et qu'il n'y ait personne pour me secourir. C'est mon unique trouille. Le reste, je n'y pense pas.

Le reste... Est-ce que je n'y pense vraiment plus ? Ne devrais-je pas avouer plutôt que j'ai cherché à reléguer cette histoire au tréfonds de ma mémoire et admettre que mon subconscient me joue des tours ?

Une nuit déjà, alors qu'il était parti faire la fête avec des copains et qu'il n'était pas supposé rentrer avant le lendemain, Papouf avait failli se faire transpercer le ventre par un couteau à steak. Dans le couloir de notre ancien appartement. Par chance, il avait eu la soudaine et bonne idée (instinct de survie ?) de murmurer "C'est moi, je suis rentré" au moment crucial. Mais cette nuit-là, le bruit de la serrure m'avait réveillée en sursaut, j'avais couru dans la cuisine m'emparer d'un couteau. Je n'avais pas agi par somnambulisme. J'étais parfaitement consciente et aujourd'hui encore je me souviens de chaque seconde vécue avec la trouille vissée au ventre.

Alors pourquoi pas cette fois-ci ? Pourquoi et comment ce grand couteau de cuisine est arrivé jusque dans la chambre, dans le lit ?

Je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu du bruit, d'avoir redouté une intrusion. Et en aucun cas, je ne me suis allongée avec un couteau aiguisé et destiné à découper de grosses pièces de viande. Trop dangereux d'avoir cette lame le long du corps alors que je suis sous anticoagulant !

La seule chose dont je me rappelle c'est que j'étais très stressée par cette neige dont tout le monde parlait.

La neige...

La neige, elle tombait aussi sur Londres en cette nuit du mois d'avril 1983. C'était un dimanche matin. Trois heures. Nous rentrions, mon amie Fabienne et moi, de boîte où nous avions passé la soirée. Comme tous les samedis soirs où nous avions quartier libre, quand nos patronnes divorcées et milliardaires partaient en week-end dans leurs cottages. Abritées sous mon parapluie pliant dont je ne me séparais jamais depuis que j'habitais la capitale anglaise, nous avions regagné la maison où j'étais fille au pair, dans Fernshaw Road. En riant, en papotant. Insouciantes du danger qui rôdait. Nous guettait.

Une fois à l'intérieur, j'avais déconnecté l'alarme. J'avais ensuite proposé à Fabienne de nous sécher et nous changer à l'étage avant de redescendre à la cuisine boire un thé pour nous réchauffer. C'est au moment de ressortir de ma chambre située au deuxième étage que nous avions entendu le bruit suspect. Un bruit sourd. Inquiétant dans le silence de la nuit. Inhabituel et qui venait du rez-de-chaussée de la maison.

Cette nuit-là, c'était ridiculeusement armée de mon parapluie que j'avais commencé à descendre l'escalier. Fabienne, terrorisée, sur mes talons.

Je donnais de grands coups de pieds dans les portes pour les ouvrir. Comme dans les films policiers. Plus pour me donner une contenance que pour effrayer l'éventuel intrus. Je m'empressais d'actionner les interrupteurs des lampes et des plafonniers. La maison prenait les allures de Versailles avec toutes ses lumières. C'est dans le salon que nous avions découvert la fenêtre fracturée. Ainsi que les traces mouillées de pas sur la moquette saumon. Le doute ne subsistait plus. On faisait soudain connaissance avec la peur, celle que l'on croyait jusqu'alors surjouée dans les films d'horreur. Cette peur qui s'exprime par des cris déchirants, terriblement aigus.

Ces cris, je les entends encore vriller mes tympans. Trop tard pour appeler les secours.  Je revois les yeux de Fabienne qui se révulsent avant qu'elle ne tombe à terre et ne perde connaissance. Tout comme je revis l'instant où je me retourne et je LE vois tout vêtu de noir. De la tête aux pieds. De la cagoule jusqu'aux gants. Il brandit une masse au-dessus de ma tête, prêt à frapper. Il ne sait pas que depuis petite, je me bats et que j'ai décidé de ne jamais abandonner un combat même celui qui semble perdu d'avance. J'ai un putain d'entraînement depuis ma vie intra-utérine ! Il est mal tombé le lascar, je suis une dure à cuire.

Je me suis mise à le frapper avec mon parapluie, mon autre poing libre, mes pieds. En hurlant que je ne suis qu'une employée, qu'il n'a qu'à voler ce qu'il veut je m'en fiche ça ne m'appartient pas, que je vais appeler la police, qu'il va se faire prendre et aller en prison. Je hurle à pleins poumons en espérant que les murs mitoyens feront écho à mes cris de fureur et de peur mêlées, que ça alertera les voisins. En vain. A droite, c'est le cabinet d'un médecin déserté dès le vendredi midi. Pareil, à gauche pour la maison de l'écrivain qui a dû rejoindre son cottage aussi.

Puis, c'est le grand trou noir.

Et des lumières qui semblent danser, des voix qui me parlent. Alors c'est ça le paradis ?

Non, ce sont les gyrophares des voitures et les policiers qui me questionnent. D'autres relèvent des empreintes dans la maison, prennent des photos. Ils ont ranimé Fabienne qui n'arrête pas de pleurer. Y a son Rimmel qui a dégouliné sur ses joues. Ca lui fait de grandes traînées noires sur le visage. Elle est moche, mais moche ! Faut lui dire de se débarbouiller. Dites-lui Monsieur le Policier ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Si je me souviens de ... quoi ?!

Bien sûr que tout me revient à l'esprit, en pleine face. Je cherche déjà à l'oublier. A le foutre dans un coin de ma vie avec les autres trucs pas beaux. Les gamelles. Je ne veux pas en entendre parler. Oui, ça va bien merci ça ira. Besoin de rien uniquement celui d'oublier. Et vite. 

Fabienne et moi, nous nous sommes saoûlées après. Au Brandy. A poil, toutes les deux dans la baignoire. En France, on nous aurait conduites à l'hôpital, envoyé une psychologue et donné des anxiolytiques. Eh bien à défaut de cuite chimique, on s'est pris une biture en vidant le bar de la patronne de Fabienne. J'ai pas voulu rester dans l'autre maison.

Je n'y suis retournée qu'une semaine plus tard. Pas longtemps. Je ne pouvais plus y rester seule. Et encore moins avec les deux whippets que ma patronne me laissait désormais, qui tremblaient tout le temps et qui me fichaient encore plus la trouille. Tu parles des chiens de garde !      

Une nuit, je me suis réveillée en sursaut. Quand j'ai voulu mettre le pied à terre, mes jambes ne me portaient plus. J'ai chuté lourdement sans pouvoir me relever. Ce furent alors les murs blancs. Celui de l'hôpital de Fulham Road où on me piquait régulièrement la peau des cuisses pour tester l'influx nerveux. Ce que je voulais remiser aux oubliettes, mon subconscient me le rappelait et mon corps l'exprimait à sa façon. Une fois de plus.

On oublie jamais vraiment.

Publicité
Publicité
Commentaires
D
Ce genre d'évènements doit être très traumatisant. C'est bien pour toi d'avoir réussi à le (re)verbaliser tant d'années après.<br /> <br /> Ce n'est pas parce que tu n'y pensais plus, que c'était complètement enfoui et oublié...<br /> Comme dans le sable de la plage, au gré des marées, certains objets enfouis ressurgissent...
Répondre
G
C'est surtout que je flippe de venir dormir chez toi maintenant lol
Répondre
K
Fay, si ta fille a un jour besoin d'une scénariste.... LOL <br /> <br /> Ca y est, Gweny, on va penser que je suis une assistée ! LOL <br /> <br /> Antiblues, ma vie est très riche en évènements heureux ou douloureux. Je ne m'ennuie jamais ! Il me reste encore beaucoup à vous faire partager et lire. <br /> <br /> Madora, cet épisode de somnambulisme est apparemment isolé pour mon cas. Il est dû à un stress trop important et à la survenue d'évènements simultanés qui m'ont replongée dans le passé. Mon frère était somnambule lorsqu'il était enfant, c'était impressionnant. Souvent, cela disparait à l'âge adulte. J'espère que pour ton fils, tout rentrera bientôt dans l'ordre et qu'il n'errera plus. <br /> <br /> Je vous bisoute tous ! ;-)
Répondre
S
Bonjour Ksénia..<br /> Comme plusieurs, j'ai d'abord cru à une nouvelle, avant de comprendre que tu avais TOI vécu cette agression !<br /> Tu as tellement raison, la mémoire n'a pas de bouton SUPPR, on enfouit, on croit avoir oublié, et puis au détour d'un signe, d'un évènement, ce que l'on croyait, voudrait avoir oublié nous envahit à nouveau...<br /> Je vis avec un "somnanbule", mon fils, et il est très dur pour moi de constater que lui aussi, va parfois chercher dans son subconscient des traces de ce que je voudrais qu'il ait oublié !
Répondre
A
Impressionnant billet! Tu as vécu plusieurs vies !<br /> Les trous noirs de la mémoire je crois que c'est ce qu'il y a de plus dérangeant dans son intimité. ça m'arrive parfois (comme tout le monde?) et cette idée de ne pas avoir tout sous contrôle, qu'un autre moi, masqué, prend les commandes, oui ça perturbe drôlement même s'il s'agit d'évenements mineurs! Alors oui, un couteau dans le lit, j'imagine le choc !
Répondre
Visiteurs
Depuis la création 413 539
Publicité
La vie, des objectifs
Publicité