Votre "vrai salaire" est donc de ....
Début des années 80, j'étais une intermittente du .....tourisme ! Je travaillais un mois en tant qu' hôtesse (salon, congrès, aéronautique), je faisais le guide pendant une semaine, je remplaçais au pied levé un employé de casino, hôtel, etc. J'ai même atterri au guichet des bagages perdus à Orly Sud pour une compagnie aérienne. Le boulot, j'allais sans arrêt le chercher. A droite, à gauche. Dans les villes thermales, les stations balnéaires. On m'appelait au téléphone et on me demandait d'être le lendemain à l'autre bout de l'Hexagone. J'y allais. J'avais toujours une valise prête. Avec mon uniforme (rouge vermillon et noir ! couleurs imposées par mon ancienne école de BTS Tourisme ) qui sortait du pressing dans une housse de transport, lorsqu'il fallait que je le fournisse. Sinon, on m'en prêtait un sur place, aux couleurs et logo de la compagnie/de l'hôtel/du centre de congrès. Je devais absolument garder la ligne pour pouvoir rentrer dedans. Pas trop difficile. Ce métier que j'avais choisi ne me permettait pas de remplir mon assiette de façon gastrononique. En contrepartie de l'aspect financier peu intéressant, je me nourrissais de toutes les rencontres faites, les relations nouées, les endroits fréquentés dans ma vie d'itinérante.
Seulement, il y avait les périodes creuses. Les horaires farfelus. Lorsque je ne dépassais pas un certain nombre d'heures par mois (40, je crois me souvenir), je pointais à l'Agence Locale pour l'Emploi. Ce qui me permettait d'avoir un "complément" de salaire. Et de pouvoir bénéficier de quelques aides. Comme la gratuité des transports en bus dans la ville où j'habitais.
Puis un jour, l'ALE m'a contactée pour un RDV et un contrat de travail, à temps plein. Dans mon dossier, il était indiqué la profession d'hôtesse du tourisme, industrie et aéronautique. Le poste qu'on me proposa et que je ne pouvais refuser sous peine de perdre les bénéfices du maigre complément d'allocations : ouvreuse de cinéma ! Rémunérée exclusivement au pourboire et avec les 10% de la vente de confiserie et glaces. Des horaires à la con. 13h-17h et 19h-1h. Jours fériés (surtout) inclus ! Frais de nettoyage de l'uniforme , lampe torche et piles électriques à ma charge. Inventaire quotidien des congélateurs et de la confiserie. Et...interdiction de regarder les films projetés en salle.
Pas le meilleur job du monde ! Mais je l'ai pris sans rechigner. Je n'avais pas vraiment le choix.
J'ai découvert la gêne et la honte de tendre la main pour obtenir une malheureuse petite pièce. La nuit, quand je rentrais chez moi, je faisais le compte de ma mendicité. Je faisais des rouleaux de pièces jaunes pour les échanger chez ma boulangère contre une plus grosse pièce....ou une demi-baguette. Jamais un billet.
Un soir, un de mes anciens patrons venu se divertir au cinéma a été choqué de me trouver là. Dans un uniforme miteux, une lampe torche à la main, un grand panier de confiserie porté en bandoulière devant moi. L'autre main tendue avec le sourire, toujours, et un merci implorant. Il m'a glissé à l'oreille quelques paroles réconfortantes qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire puis il m'a donné un billet de 50 francs dans la main. Quand je suis rentrée chez moi cette nuit-là, j'ai pleuré à chaudes larmes, le billet chiffonné et serré dans mon poing. Ca me faisait l'effet de m'être prostituée. Je me sentais mal, sale, nulle.
Le lendemain matin, après une terrible nuit blanche à me torturer les méninges, je suis allée à l'inspection du travail. J'ai dénoncé les conditions de travail. On m'a écoutée. Cela m'a fait énormément de bien.
Des actions notables en faveur des employés du cinéma ont été menées aussi les jours suivants. Cela m'a causé plein d'ennuis. J'ai été convoquée immédiatement chez le jeune directeur qui n'avait pas apprécié ma démarche. Convocation pour la remise de mon solde de tout compte.
Ce jour là, je n'ai rien perçu. C'est moi qui ai signé un chèque de 79,63 Frs à l'ordre du cinéma pour le paiement de mes cotisations salariales.
Sur le bulletin de salaire qui m'a été remis, figure le montant estimatif de ce que je pouvais percevoir en pourboire et que l'on me déduit ( "reprise salaire évalué" ) car c'est le public, et lui seul, qui était censé me rémunérer. Les 10% de confiserie représentant des clopinettes. La mention "votre vrai salaire est donc de :" que l'on peut lire en bas du bulletin de paie, me fait aujourd'hui sourire.
Incroyable, hein ?! Et pourtant bel et bien vrai :
Je ne regrette absolument rien. Cette expérience m'a été bénéfique. Elle m'a endurcie. J'ai aussi appris que les gens sont ingrats. La démarche que j'ai effectuée, seule, a servi également la cause de mes collègues. Qui ne se sont même pas fendus d'un simple "au revoir" quand j'ai quitté le cinéma.
L'ALE a accepté ma réinscription comme demandeur d'emploi. J'ai pointé encore quelques temps, entre deux missions. Puis, de peur d'avoir un jour à refaire la manche....j'ai passé le premier concours administratif qui s'est présenté.
Fini le pointage ! Et les propositions de boulot bidons, les abus !
Je ne souhaite vraiment à personne de devoir un jour quémander de cette façon. Puissiez-vous, en ces temps de crise, en être préservés !